「男の隠れ家」掲載 (フランス語訳/英語訳)

otoko_1.jpg otoko_3.1.jpg otoko_2.1.jpg

 


2009年5月27日
「男の隠れ家」7月号「男の書斎」に掲載。


(フランス語訳)

Article paru dans le magazine japonais « Otoko no Kakurega », juillet 2009

Cabinet d’étude au masculin – n° 70 –
texte : Satoru Udagawa
photo : Kiyotaka Kinoshita

Tokutaro Hirano - modiste, styliste -

Ou comment donner corps à ses rêves dans un atelier entouré de verdure et lancer sur la scène internationale ses créations à partir de Kyoto

Tokutaro Hirano : Modiste et styliste originaire de Kyoto. En 1968, il présente avec succès sa première collection à l’hôtel Kyoto et ouvre, en 1969, sa boutique « Avec Taro » dans le quartier de Gion. L’année suivante, il voyage en France en compagnie de Junko Ouchi. En 1973, il s’inscrit à l’école ESMOD à Paris pour y apprendre les techniques ayant trait à la haute couture et au prêt-à-porter. En 1994, il crée une école de formation aux métiers du chapeau pour assurer ainsi la transmission de son savoir-faire. En 2001, Tokutaro Hirano est nommé Chevalier de la Confrérie du Chapeau de Caussade et Septfonds et citoyen d’honneur de la ville de Caussade.

Un modiste de Kyoto très en vue sur la scène internationale

Aux concours internationaux du chapeau organisés à Caussade, centre européen de la chapellerie, ou à Lyon où se trouve le Musée du Chapeau, Tokutaro Hirano, modiste qui vit et travaille à Kyoto, a su amener ses élèves à remporter les plus hautes récompenses. Le Studio Hirano, école de formation aux métiers du chapeau qu’il a créée, est connu comme le temple de la création chapelière au Japon. Il est d’ailleurs considéré par le célèbre magazine « The Hat » comme la seule et unique institution japonaise consacrée à cette discipline. En outre, son épouse Noriko, également modiste, a remporté le premier prix en 2001 au concours international de Caussade.

« A partir de 1970, l’industrie française du chapeau a connu une situation catastrophique, ce qui a eu pour conséquence une baisse importante du nombre d’artisans spécialisés dans la fabrication de formes à chapeaux en bois et une perte du savoir-faire en matière de chapeau. Malgré ces circonstances, nous nous sommes toujours investis dans le développement technique, ce qui nous permet d’incorporer dans nos créations des éléments inventifs. C’est ainsi que la qualité de nos savoir-faire est largement reconnue aujourd’hui ».

Si l’industrie française du chapeau est en déclin constant depuis 1970, il y a plusieurs raisons à cela. Mais c’est avant tout dans le processus de démocratisation et d’urbanisation de la société française que le chapeau, qui était considéré comme symbole du pouvoir, est tombé en désuétude. En outre, la vogue des vêtements « décontractés » ou « unisexes » envahissait à l’époque les milieux de la mode au détriment du chapeau qui est l’emblème par excellence de la tenue de cérémonie. Or, récemment, il semble y avoir un regain d’intérêt pour les chapeaux.

« Le chapeau est loin d’être démodé ! En ville, vous voyez plus en plus de personnes qui en arbore un. Aujourd’hui, le chapeau est à la mode. Elément essentiel dans la composition vestimentaire, il est mis en valeur par les gestes et les comportements de celui ou celle qui le porte. C’est sans doute pour cela que le chapeau plaît aux Japonais qui ont un goût raffiné ».

Cependant, comme il y a peu de connaisseurs en la matière au Japon, ce que l’on trouve sur le marché ne sont que des produits confectionnés en grande série, ce qui ne favorise pas la transmission des techniques sophistiqués indispensables aux créations de haute mode. « En France, bien que la chapellerie soit en déclin, il y a toujours des connaisseurs qui ont un œil exercé et qui savent apprécier la qualité de nos techniques », précise Tokutaro Hirano avec une certaine fierté.

Né dans le quartier de Gion à Kyoto, Tokutaro Hirano, véritable kyotoïte, a débuté assez tôt comme styliste. Par la suite, il a poursuivi ses études à Paris dans l’école ESMOD où il a enrichi ses connaissances en matière de mode. Entre temps, il a été fortement marqué par Coco Channel qui a d’ailleurs travaillé comme modiste au début de sa carrière. C’est ainsi que, depuis 40 ans, il n’a cessé d’être fasciné par la magie du chapeau. Ses créations, nourries de la culture traditionnelle de Kyoto et rehaussées par un goût moderne exceptionnel, sont comblées d’éloges de la part des Français avertis.

« Nous enseignons aujourd’hui nos techniques au lycée Octave Feuillet à Paris. Il faut avant tout sauvegarder nos savoir-faire en les transmettant aux jeunes qui sont les futurs modistes. Il est également important de transmettre, à l’aide de moyens audiovisuels, les connaissances, les théories et la philosophie en matière de chapeau. Par bonheur, nous avons un fils qui a fait ses études doctrales à l’université de Paris et qui participe à notre activité. Même de manière modeste, nous envisageons de poursuivre un travail susceptible d’apporter une contribution à la scène internationale de la mode ».

Atelier qui permet de profiter pleinement de la nature au fil des saisons

L’atelier de Tokutaro Hirano se trouve dans un quartier résidentiel paisible tout près d’un temple très célèbre : le Pavillon d’Argent. Construit il y a 20 ans, il est situé au bord d’un canal à l’eau claire. Au printemps, les branches des cerisiers en fleurs se balancent au gré des vents légers avant que les pétales ne jonchent la surface d’eau formant un tableau d’une beauté luxuriante. Face à cet atelier qui se remarque par son style distingué, deux mots viennent à l’esprit : élégance et raffinement.

« L’architecture a été conçue par un charpentier, à l’esprit avant-garde, spécialisé dans la construction des temples traditionnels. Je lui est laissé carte blanche pour les plans, en lui précisant simplement que le thème principal doit être l’Opéra à deux tatamis. Quand j’étais à Paris, j’ai été fasciné par l’univers du théâtre lyrique, ce qui m’a donné envie de créer à Kyoto, même miniscule, une maison consacrée à l’art lyrique ».

C’est de cette ambition extraordinaire qu’est né, il y a 20 ans, cet atelier. Quant à l’opéra à y présenter, Tokutaro Hirano a voulu, au lieu d’inviter des artistes lyriques étrangers de renom, monter lui-même une performance devant un public avec qui il se trouvera face à face. Au rez-de-chaussée de l’atelier, au fond du salon dont le plancher est recouvert de bois, un espace surbaissé d’une marche a été aménagé sur la gauche pour abriter la scène de cet Opéra à deux tatamis.

« Ici, nous avons présenté une pièce d’opéra : j’ai fabriqué les costumes et la mise en scène a été assurée par un professionnel, Shin Sato, avec deux interprètes dont le célébre mannequin, Sayoko Yamaguchi. C’était sur le thème de la mort et de la renaissance. Dans la lignée de la culture traditionnelle de Kyoto, nous avons conçu quelque chose qui correspondait à la philosophie du maître Sen no Rikyu qui pratiquait la cérémonie du thé dans une pièce à deux tatamis ».

Finalement, cette première représentation marquée par un esprit raffiné est restée la dernière en date et l’espace autour de cet Opéra en miniature s’est transformé depuis en un atelier qui a du cachet. Au rez-de chausée, le couple Hirano et leurs élèves s’adonnent à la création de chapeaux. Et de temps en temps, Tokutaro Hirano prend l’escalier escarpé pour monter dans son cabinet d’étude au premier étage.

« Dans ce cabinet, il fait extrêment chaud en été et extrêment froid en hiver. Il n’y a pas de chauffage ni de climatiseur. Comme on est chauffé ou refroidi jusqu’au fond de la tête, on se sent tendu comme si on mettait des chausseurs laquées. C’est une véritable épreuve physique (rire). Mais comme j’adore tout ce qui est naturel, j’arrive à supporter aussi bien la chaleur que le froid. Cet atelier est construit avec du bois, de la terre et des pierres. Les piliers sont faits de poteaux éléctriques de récupération et il y a quelquefois des infiltrations des eaux de pluie à travers le toit ».

C’est un espace exceptionnel pour se concentrer sur le travail tout en profitant pleinement de la nature environnante. L’architecte de cet atelier était d’ailleurs convaincu que le créateur doit toujours vivre en harmonie avec la nature. Installé dans son cabinet d’étude dénué de toute fioriture, Tokutaro Hirano élabore tous les jours ses projets en regardant le canal qui coule au-dessous.

De sa maison qui se trouve à l’autre bout du canal, il part tous les matins vers 9h30 à pied et met une quarantaine de minutes pour venir à son atelier : il reste ¬à y travailler jusqu’à 7h ou 8h du soir. Pendant ce temps, il monte et redescend avec la souplesse d’un jeune garçon cet éscalier escarpé qui relie l’atelier du rez-de-chausée à son cabinet d’étude du premier étage. Ses mouvements agiles font penser ceux d’un combatant qui, dirigeant son équipe, a su mener la bataille avec ses créations sur la scène internationale ,

Une dernière ambition à réaliser : « créer à titre personnel un musée du chapeau ».



Légendes photos:

p. 140 en haut :
En haut : D’une grande rareté, ces catalogues de mode français des années 1920 sont difficilement trouvables même sur les marchés aux puces en France. Chaque image est une œuvre d’art. En bas : Vue de l’atelier du rez-de-chaussée. Dans l’espace tout près de l’entrée, est exposée une collection de chapeaux de différentes époques.

p. 140 au milieu :
A droite : Dans l’atelier sont stockés des magazines et livres de mode des années 1960.
A gauche : L’escalier qui relie l’atelier du rez-de-chaussée et le cabinet d’étude du premier étage. La main courante de fer est l’œuvre d’un ami designer.

p. 140 en bas :
Le cabinet d’étude au premier étage : Tokutaro Hirano élabore ses projets en regardant les cerisiers et le canal à travers les fenêtres dont la huisserie est en bois.

p. 141 :
Au fond de l’atelier du rez-de chaussée, sont empilés des formes à chapeau en bois, des tissus et d’autres matières de différentes couleurs ainsi que des chapeaux en cours de confection. Tokutaro Hirano est en train d’humecter le feutre à la vapeur d’eau pour lui donner la forme recherchée.

Dessin, p. 141 :
窓 Fenêtre / ベンチ型チェアBanc / アート作品 Œuvre d’art / アトリエへ Vers l’atelier / 棚 Etagère / コーヒーメーカー Machine à café / 冷蔵庫 Frigo / 資料 Documents / 窓の外に川 Vue sur le canal / テーブル Table


(英語訳)

Otoko no Shosai
No. 70
Written by: Satoru Udagawa
Photo: Kiyotaka Kinoshita

Tokutaro Hirano
Hat & Costume Designer

From his atelier in Kyoto where he lives in harmony with nature, he pursues his dreams,bringing out his creations to the international scenes

◎Tokutaro Hirano
A Kyoto native, Mr. Hirano is a hat/costume designer. In 1968, he successfully presented his first collection at the Kyoto Hotel. In 1969, he opened the flagship store “Avec Taro” in the Gion quarter. In 1970, he traveled to France with Ms. Junko Ouchi. In 1973, he entered the school “ESMODE” in Paris to study various techniques for haute couture as well as for prêt-a-porter. In 1994, he established a school for professional hat designers to disseminate his expertise. In 2001, Mr. Hirano was awarded the Chevalier de la Confrerie du Chapeau de Caussade et Septfonds. He was also made an Honorary Citizen of Caussade.

International hat designer who really is a Kyoto local

In international hat contests, such as the one held in Caussade, one of the largest hat production centers in Europe, or the one in Lyon where the Hat Museum is located, Mr. Tokutaro Hirano, a fashion designer working in Kyoto, has lead many of his pupils to win prizes. “Studio Hirano,” the school for professional hat designers that Mr. Hirano founded, is known as the most important hat design institute in Japan. It is recognized by the world’s most prestigious magazine of hat design, “Hat Magazine,” as the only institute of hat design in Japan. His wife, Noriko, is also a hat designer and won the grand-prix in the International Hat Design Contest in Caussade in 2001.

“Since around 1970, the hat industry in France has been in a catastrophic situation, and the number of specialists in making wooden patterns for hats has drastically decreased. Under such circumstances, we have constantly developed techniques of hat making, which allows inventive elements to be incorporated in a hat. I think such high quality skills have been recognized.”

Since 1970, the hat industry in France has rapidly declined. Several reasons can be given. The primary reason, however, is that, in the process of popularization of French culture and social urbanization, people had turned their backs on hats which had been regarded as a symbol of authority. At the same time, “casual” and “unisex” trends dominated the fashion world, and hats which represented formal wear had been marginalized. In recent years, however, hats are showing some signs of revival.

“Hats are far from being out of fashion! Don’t you see more and more people in the streets wearing hats lately? Actually, hats are quite popular now. Hats are an essential element of clothes composition and they look attractive along with the wearer’s gestures and behaviors. I think that is why hats conform with the delicate sensibility of Japanese people.”

Because there are almost no connoisseurs of fine products in Japan, hats are mass-produced and no sophisticated skill, indispensible to create haute couture hats, have not been handed down. “In France, even if the hat industry is declining, there are still connoisseurs, who appreciate our techniques highly,” says Mr. Hirano proudly. His institute adheres to the techniques that has now been lost in France.

Born in the Gion quarter, a genuine Kyotoite, Tokutaro Hirano was still young when he made his debut as an up-and-coming designer. He later went to Paris to study at the ESMODE school, a famous fashion institute in France. During his intensive study on fashion as a whole, he was strongly affected by Coco Chanel, who started as a hat designer. For 40 years since then, Mr. Hirano has been enchanted by the charm of hats. His modern design combined with the traditional culture of Kyoto is admired by French connoisseurs.

“Now, I go to teach our techniques at the Lycee Octave Feuillet in Paris. I would like to establish techniques of hat design and hand them down to young people who are aspiring to become hat designers. At the same time, I would like to disseminate expertise, theories and philosophies regarding hats, along with visual images, as they are also important. Fortunately, my son, who has completed his doctorates in the University of Paris, has joined our activities. It may be modest, but I would like to keep my work to contribute to the world of fashion.”

Atelier that you can directly feel the change of the seasons

Mr. Hirano’s atelier is located in the quiet residential area near Ginkakuji Temple. The atelier, constructed twenty years ago, is situated by the crystal clear waterway. In springtime, cherry blossoms in full bloom sway in a gentle breeze and soon they fall on the limpid stream. It is just like looking at a very beautiful picture. Facing the atelier, which is quite conspicuous, you may recall the words, “elegant” and “refined.”

“This atelier was designed by a carpenter who was a specialist in the construction of Japanese traditional shrines, and his style was quite avant-garde. I gave him carte blanche for the plan. The only thing I requested to make “an opera house in two tatami mats.” When I was in Paris, I was completely fascinated by the world of opera. I only wanted to make an opera house in Kyoto, however small it may be.”

Such an extraordinary ambition created this atelier 20 years ago. He also hoped to present a production, not by inviting famous foreign singers, but by producing on his own hook so that the audience can watch them face to face. On the first floor of the atelier, walking through the wooden-floored open space and stepping down to the left, you will find the place for “an opera house in two tatami mats.”

“In this place, we presented a piece of opera. I made the costume, the stage director, Mr. Shin Sato directed the production, and two actors, including the famous model, Sayoko Yamaguchi, performed the play. The theme was “Death and Reincarnation.” In the traditional culture of Kyoto, it showed the same idea as the tea master, Sen no Rikyu, who performed tea ceremony in a room of two tatami mats.”

It turned out that the first opera production, created by his liberal spirit, became the last one. The space surrounding “the opera house in two tatami mats,” however, has transformed into a stately atelier over time. The first floor is now the place for Mr. and Mrs. Hirano and students to work on their creations. Mr. Hirano sometimes climbs up the ladder to go to his study on the second floor.

“In this study, it is very hot in summer and extremely cold in winter. I don’t have any air conditioner or heater. Heat and coldness comes to the top of my head. It is as if I put patent shoes on. So, I am challenging myself physically (laugh). But I love to go au naturel and I can put up with heat and coldness. This atelier is made of wood, earth and stone. Old telephone poles are used as pillars, and there is sometimes a leak in the ceiling (laugh).”

The nice and comfortable space lets you feel close to nature and immerse in work. “Designers should live in harmonious coexistence with nature” was the motto of the architect of the atelier. Looking down from the study where no artificial arrangement is added, Mr. Hirano elaborates his design plan every day.

At around nine thirty every morning, Mr. Hirano leaves his house by the waterway and walks along the stream to the atelier for about forty minutes. He works there until seven or eight in the evening. Many times during work, he goes up and down the steep stairway effortlessly like a young man. His quick movements make him look like a brave fighter, who, armed with hat design, has led his team to fight a battle at the center of the world. May his dream—to build a private hat museum—come true soon!

(Photo captions)
Right: He says he stores materials, including fashion magazines and books in the 1960’s, in the atelier.
Left: The stairway connecting the atelier on the first floor and the study on the second floor. The iron handrail was made by his designer friend.

The study on the second floor. Here, he elaborates his design plan, looking at cherry trees and the stream through the wooden-frame window.

Top: French fashion catalogues of the 1920’s. Today, these are rarely found even in flea market in France. Each page is so beautiful, like a fine work of art.
Bottom: The atelier on the first floor. Various designs of hats are displayed chronologically at the entrance hall.

The atelier at the back of the first floor is filled with wooden patterns, colorful pieces of fabric, and unfinished creations. Felt is moistened by steam to be shaped.

Illustrator: Norihiro Iwase